L’Internal Revenue Service (IRS) a considérablement élargi ses capacités de surveillance des crypto‑actifs depuis 2017, passant de contrôles ciblés sur quelques contribuables à des demandes massives de dossiers auprès des principales plateformes d’échange et des entreprises du secteur.
Grâce à des « summons » de type « John Doe » et à des outils d’analyse de blockchain de plus en plus sophistiqués, l’agence fédérale peut désormais suivre les transactions en temps réel, selon des experts juridiques et des documents officiels du gouvernement.
Une stratégie d’envergure nationale
« À l’origine, l’IRS se concentrait sur un groupe restreint d’individus en fonction de seuils de transaction spécifiques, » explique David Klasing, avocat fiscaliste spécialisé en crypto‑taxation. « Aujourd’hui, les procédures s’étendent à l’ensemble des échanges majeurs, afin d’identifier les infractions fiscales à grande échelle. »
Les plateformes ciblées dès le début comprenaient Coinbase, Kraken, Poloniex et Circle. La première grande action a eu lieu en 2016, lorsque l’IRS a émis une convocation pour 14 000 comptes Coinbase, qui a ensuite été partiellement annulée par les tribunaux.
Cette campagne a permis de saisir 3,5 milliards de dollars d’actifs cryptographiques au cours de l’exercice 2021, soit 93 % du total des saisies de l’IRS cette année-là, d’après la Division des enquêtes criminelles de l’agence.
En 2021, l’IRS a également obtenu l’autorisation judiciaire pour des summons « John Doe » visant les utilisateurs de Kraken ayant effectué plus de 20 000 $ entre 2017 et 2020, les clients de Circle sur la même période, ainsi que les utilisateurs de Poloniex, alors filiale de Circle.
Au juin 2023, le Service a ouvert 216 enquêtes et envoyé près de 15 000 « lettres douces » aux contribuables identifiés grâce aux données d’échange, rapporte le Bureau de l’inspecteur général du Trésor (TIGTA) en juillet 2024.
Avant d’obtenir l’aval d’un tribunal, l’IRS doit satisfaire trois critères : démontrer qu’il enquête sur un « groupe discernable de personnes », établir une « base raisonnable de croire à une non‑conformité », et prouver que les informations ne sont pas facilement accessibles par d’autres moyens. Cependant, les tribunaux exigent seulement une justification minimale, sans que chaque individu du groupe soit prouvé en faute.
Depuis l’affaire Coinbase, l’IRS a élargi son « Electronic Payment Systems Initiative », initialement dédié aux virements électroniques, pour englober les « crypto‑monnaies ». L’agence combine désormais les données des échanges avec l’analyse de la blockchain afin de créer des profils financiers complets, comme le montre l’enquête Kraken menée par l’agente Karen Cincotta.
Le TIGTA indique qu’en 2024, le taux potentiel de non‑conformité parmi les contribuables identifiés via les échanges de crypto‑actifs s’élevait à 75 %, alimentant directement le pipeline d’audits dès le début de l’exercice fiscal.
Points clés de la nouvelle réglementation
- Le régime de déclaration 1099‑DA, qui entrera en vigueur en 2025, obligera les plateformes à déclarer le produit brut des cessions et, dès 2026, le coût d’acquisition des titres couverts.
- Les exigences visent à corriger les incohérences historiques liées aux formulaires 1099‑K, souvent agrégés sans indication de base de coût.
- Chaque échange devra produire son propre 1099‑DA, sans consolidation des informations provenant d’autres plateformes, de portefeuilles ou de protocoles on‑chain.
Nick Waytula, avocat fiscaliste chez Crypto Tax Calculator, estime que l’usage élargi des summons « John Doe » élève le niveau de conformité des entreprises crypto, tout en augmentant le risque de pénalités ou de referrals criminels pour les infractions antérieures, même si elles n’étaient pas intentionnelles.
Il avertit cependant que si les formulaires simplifient trop la déclaration du coût d’acquisition, les divergences et la confusion pourraient s’accentuer, au lieu de diminuer.
Le cabinet de Klasing a déjà assisté plusieurs clients ayant reçu des « lettres de 90 jours » de l’IRS, liées à des déclarations massives erronées provenant de 1099‑K agrégés entre 2017 et 2019, que le GAO a qualifiés d’« inutiles ou confusants ». Le nouveau 1099‑DA devrait remédier à ces lacunes, bien que des erreurs puissent subsister.
<p>Dmitri Alexeev, associé fiscal chez Aprio, souligne que ces développements s’inscrivent dans la continuité de l’effort d’application post‑Coinbase, incitant les plateformes à renforcer leurs processus AML/KYC, la collecte de données et les capacités analytiques.
En juillet, la Cour suprême a refusé d’entendre le recours de James Harper, qui contestait la violation de ses droits du quatrième amendement par l’IRS suite à un summons sur les données de Coinbase. Coinbase, soutenu par un amicus curiae de plusieurs États, de groupes de défense de la vie privée et de X d’Elon Musk, avait argumenté que la doctrine du « tiers‑partie », datant des années 1970, ne devait pas s’appliquer aux échanges de crypto‑actifs.
Selon Coinbase, l’accès de l’IRS équivaut à un « moniteur financier en temps réel », comparé à un « bracelet électronique » permettant une surveillance quasi parfaite des transactions des utilisateurs.
Alors que l’administration Trump a supprimé en juillet la règle DeFi‑broker du code fiscal, qui aurait contraint les plateformes décentralisées à recueillir des données similaires à celles des courtiers traditionnels, les échanges centralisés restent soumis à des obligations de déclaration étendues.
Waytula avertit que des approches trop répressives risquent d’aliéner les utilisateurs conformes, déjà débordés par la complexité, et que la communauté crypto, souvent anti‑gouvernementale et pro‑décentralisation, pourrait réagir fortement à une sur‑réglementation.
Enfin, bien que les programmes de correspondance puissent générer des avis lorsqu’il y a incohérence entre les données tierces et les déclarations, cela ne signifie pas nécessairement que le contribuable a commis une erreur de calcul.
